Les murs d'images

Le bureau de Martin du Gard se trouve dans une aile du château du Tertre, près de Bellême, dans l’Orne, au sein du domaine où il vécut de 1925 à sa mort. Ce château est un manoir du XVIIe siècle agrandi au XVIIIe siècle, entouré d’un vaste parc. En 1924, l’écrivain français, né en 1881, acquiert le domaine de ses beaux-parents et y effectue d’importants travaux. Dans l’entre-deux-guerres, le Tertre est un lieu de rencontres et de séjour pour de nombreux écrivains, notamment le petit cercle évoluant autour de la NRF, la Nouvelle Revue française, et les toutes jeunes éditions Gallimard.

Roger Martin du Gard y aménage une bibliothèque et un bureau, deux pièces desservies par un vestibule qui n’a lui-même pas bougé depuis leur aménagement, en juin 1925, à l’exception des nombreux portraits de l’auteur, peints en grande partie, qui sont venus combler les vides qu’avaient laissés certains tableaux qu’il avait souhaité donner à ses amis après sa mort. Son bureau fait en particulier l’objet d’un soin constant. Il contient plusieurs meubles souvent bricolés par l’écrivain, dont son bureau principal où il écrivait dos à la fenêtre, le papier posé sur une planche inclinée sur ses genoux. Ce bureau où il écrit la plupart de son œuvre est pour lui un refuge à la mondanité, « un asile de sérénité et de travail » et une forme de « sanctuaire » ou de « lieu consacré », suggérait-il dans ce qu’on appellerait aujourd’hui une autofiction, Le Lieutenant-Colonel de Maumort. Il y mourra d’ailleurs le 22 août 1958.

Ce lieu de solitude est pourtant peuplé de visages amis. En effet, face à lui se trouvait un imposant mur de portraits d’écrivains et d’amis, en noir et blanc, encadrés et disposés par ses soins. Roger Martin du Gard, romancier couronné du Prix Nobel de Littérature en 1937, est aussi un photographe amateur et un collectionneur d’images, notamment de portraits. Il va ainsi faire se rencontrer en des colonnes régulières, les photographies et les portraits dessinés de celles et ceux qu’il aime, soigneusement agencés en des cadres la plupart du temps faits maison, uniformément bordés d’un papier collant noir. Plantant les clous lui-même, l’écrivain se crée au printemps 1925, « une galerie de deux cents portraits, photos ou gravures de petit format, soigneusement encadrés et répartis par colonnes qui emplissent tout l’espace disponible autour de sa table de travail » (Le bureau de Roger Martin du Gard au Tertre, p. 27). « Chaque photo renvoie à une histoire et l’ensemble constitue un véritable portrait de Roger Martin du Gard, autant que de ses proches », estime Claude Sicard, spécialiste de l’écrivain, qui ajoute :  « Aucun de ceux qui ont apporté à Martin du Gard le réconfort de leur présence, de leur écoute attentive, de leurs conseils éclairés n’est absent du parcours en images que nous propose cet album » (Le bureau de Roger Martin du Gard au Tertre, p. 17).